Jacqueline Risset, 2009
Naissance du Cercle


A un certain point le cercle fait son entrée dans la peinture de Peter Flaccus. Dans la transparence lisse, en quasi miroir, de la cire d’abeille patiemment étendue sur la surface préparée du tableau, il apparaît à l’improviste, seul ou multiplié, léger, presque impalpable, comme l’intérieur perlé d’une huître, comme un jeu de nuages se poursuivant, ou encore, surprenant l’oeil du spectateur qui attendait de délicats échanges entre lumières et astres calmes, une foule d’objets solides, aux couleurs froides.

«Merveilleux est le cercle» écrivait en 1939 Vassili Kandinski, qui depuis 1925 explorait le jeu ordonné et sensible des formes géométriques, et surtout de la plus parfaite, le cercle : «immanence de tout ce qui existe, symbole du cosmos, mouvement circulaire de la vie». Expression alors d’un choix, ou plutôt d’une attirance seconde : «j’aime aujourd’hui le cercle, comme autrefois j’ai par exemple aimé le cheval» («le cercle a plus de possibilités intérieures», continuait Kandinski avec humour) .De fait, alors que les spectateurs de ses figures nouvelles y voyaient surtout des «allégories cosmiques», le peintre percevait les tensions innombrables à l’intérieur de cette forme simple, qui était pour lui «synthèse des plus grandes contradictions (silencieux/ bruyant, stable/ instable, concentrique/ excentrique). Le cercle, «infini limité» donnait selon lui à la couleur une capacité plus grande de provoquer une vibration pure que ne pouvaient faire les limites d’un objet quelconque, «qui parlent plus étroitement de lui (cheval, oie, nuage)».

Le travail de Peter Flaccus, fondé sur une réflexion incessante autour ce qu’on peut appeler ‘la forme musicale du miel’, parvient dans sa phase actuelle à saisir la naissance même du cercle. Surgissement d’un point qui se dilate et gagne lentement ses bords. cette peinture très calme a le mouvement d’une métamorphose incessante, comme si le processus de préparation, d’étalage et de solidification de la cire continuait secrètement sous la forme achevée, surprenant l’oeil errant sur la surface. Le bleu et le blanc s’étendent circulairement à partir d’un point brillant où la lumière bouge encore; la transparence venue de la cire fait naître une nouvelle couleur, comme dans les expériences de peinture sur verre de Kandinski; mais la cire, à la différence du verre, est matière proche encore du corps de l’abeille volante et vibrante qui l’a produite.

Dans les derniers grands tableaux où les objets-cercles sont plus nombreux et plus opaques apparaît, frôlant les cercles et parfois les recouvrant en partie, une autre figure géométrique, le carré – figure d’équilibre et d’orientation terrestre, toute différente de la quasi appartenance céleste du cercle, mais comme lui «ne connaissant pas la violence de l’angle». Les astres désormais se touchent et rencontrent parfois des aérolithes en chute libre, dans une suspension silencieuse et claire.