Claude Fournet, 1996
La peau des signes


Le temps de la peinture est territoire, espace, dimension de l'amplification ou de la résorption du signe, de la couleur, des couches ou de l'empâtement. Chaque époque apporte ses métaphores, ses combinaisons, son alchimie. Les lieux vrais entrecroisent les lieux imaginaires, l'un portant l'autre, ou le désertant.

Aussi, il n'est pas indifférent que Peter Flaccus, romain depuis plusieurs années, ait eu à affronter dans ses oeuvres, après "l'espace américain" qui est la composante majeure de l'art new-yorkais de l'après-guerre, l'usure du temps dans les couches innombrables de l'histoire de la romanité. Telle fresque, qui s'efface ou qui disparaît, infuse un support de plâtre ou de terre, reconduit la manière "a fresco", donne à voir des équations plus ou moins savantes, proches encore de la camera oscura, où s'accommode la netteté de la vision, pour en déterminer une surface d'émergence.

Le tableau est ce miroir par où la couleur s'embue, se dépose, introduit le trouble ou le limpide. Les accords de la lumière et de la nuit ressemblent à des coups d'archet sur des cordes, résonnent dans des harmoniques de violons ou d'altos, épousent la silhouette ou le contour des boîtes magiques où s'amplifie et s'apaise le souffle de la musique.

Peter Flaccus a mêlé tout cela dans un lieu qui n'appartient qu'à lui et dont émerge le tableau. Patiemment, avec la dextérité de l'artisan, il polit sa matière, déposant ou prélevant, modulant de couche en couche, dans l'infinité des couleurs des états d'apparition, de dilution, d'effacement. C'est dans la peau des signes, par des transparences de couleurs, qu'il s'agit, démasquée ou fardée, d'induire le fluide vital. La résonance n'est pas le verbe, mais la musique du verbe, l'insufflation et l'exténuation, jusqu'au coeur du mystère - proche en cela de certaines des invocations isiaques que n'auraient pas désavoués les anciens romains.

Claude Fournet
Conservateur en Chef du Patrimoine
Directeur des Musées de Nice